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Rédigé par Renek | le ** ** **** à **:**

Conservation du patrimoine vidéo ludique : un vrai casse tête

Préservation du patrimoine vidéoludique, accessibilité des jeux dans le temps, pérennité de l’accès aux jeux dans le futur, tant de termes souvent utilisés pour désigner un seul phénomène -ô combien craint par contre d’entre nous-: la perte de l’accès à nos jeux préférés. Si cette question s’exprime le plus souvent autour du débat sur les plateformes dématérialisées comme Steam avec l’anticipation de scénarios catastrophe en cas de fermeture; ou bien au travers d'événements épisodiques comme la mise hors service d’un store sur consoles, nous allons voir qu’elle est en réalité bien plus large et surtout bien plus actuelle que nous avons tendance à le penser. Hypothétiser sur la mort de Steam serait-il plus pertinent qu’une discussion de comptoir s’achevant sur un “boh on verra bien” ? Pas vraiment, aussi nous concentrerons-nous ici sur des situations déjà bien réelles, et pour certaines avérées depuis plus d’une décennie.

En effet, les différentes annonces et retours en arrière de Sony au cours des dernières semaines concernant la fermeture des Stores Playstation 3, PSP et Vita a pu ramener la question sur la table, il ne faut pas oublier que cette situation n’a rien d’inédite. D’aucuns se rappelleront de la chaîne boutique Wii (et de sa formidable musique de fond), qui permettait de télécharger des applications sous forme de chaînes, des jeux de la console virtuelle mais également des softs inédits nommés WiiWare. Cette dernière, tout comme le store DSi d’ailleurs, a fini par être totalement arrêtée par Nintendo, l’entreprise préférant se tourner vers ses shop Wii U et désormais, Switch

Cette fermeture peut paraître anodine, voire hors de propos dans la mesure où la plupart du contenu du service se concentrait en ce temps sur la Console Virtuelle qui ne proposait par définition qu’une version numérisée de jeux déjà sortis (nous y reviendrons), mais ce serait vite oublier ces fameux WiiWare. Bien que pouvant eux aussi paraître anecdotiques, ces jeux (se rapprochant souvent plus du mini jeu que du véritable produits achetables sur disque à l’époque) étaient tous exclusivement distribués sous ce format. Prenons un exemple qui fera sûrement considérer à bon nombre d’entre nous l’ampleur réelle de cette fermeture: Sonic the Hedgehog 4 Episode 1 a aujourd’hui totalement disparu de la console, car si les jeux au format physique sont encore trouvables en théorie, de tels softs uniquement distribués au format dématérialisé ne sauraient être achetés ou même téléchargés pour qui les avait déjà payés et souhaiterait les réinstaller.

De même, certains historiens du gaming auront peut-être déjà entendu parler du Satellaview, une extension de la Super Famicom uniquement sortie au Japon et qui proposait au beau milieu des années 90 de se connecter à un service de télévision par satellite afin de télécharger des jeux sur carte mémoire. De nombreux dérivés de Zelda A Link to the Past y étaient par exemple distribués au rythme d’un chapitre jouable à un moment précis (pour certains en tous cas, mais s’étendre là dessus c’est ici pas le sujet). Comme chacun peut s’en douter, ce service est désormais fermé depuis des années, et il est désormais impossible de remettre la main sur ces expériences se voulant pourtant bien différentes de l’opus original. Et autant épargner des recherches à ceux qui pensaient avoir trouvé la parade: les ROMS de ces jeux sont extrêmement rares, voire inexistantes. Ainsi, ces expériences de jeu peuvent être considérées comme perdues, n’existant plus que dans les mémoires des quelques joueurs japonais ayant pu profiter du service à l’époque ainsi que dans les vieux disques durs de Nintendo.

Les exemples ne manquent pas et démontrent qu’en réalité, la question de la conservation des jeux vidéo n’a pas besoin d’attendre la mort de Steam pour se poser, mais naît dès lors qu’une console cesse d’exister sur le marché, entraînant avec elle ses jeux, -nous reviendrons sur cet aspect- pour ne plus rester accessible qu’aux collectionneurs ou conservateurs, à ceux pratiquant l’émulation ou aux personnes utilisant les services de “console virtuelle”.

Comment parler de la conservation du patrimoine vidéoludique sans parler justement de la console virtuelle ? C’est à partir de la septième génération de consoles, donc sur Playstation 3, Wii et Xbox 360 que se généralisent des services de vente de jeux “rétro” sur les différents stores, particulièrement du côté de Nintendo qui avait à cette époque une histoire plus riche que les autres constructeurs (Microsoft n’en était qu’à sa deuxième console, Sony à la troisième là où Nintendo officiait, en gros, depuis la troisième génération). Sans doute les connaissez-vous puisque relativement récents et surtout existant encore de nos jours, parfois dans une moindre mesure. Si ces services ont pu être l’occasion pour beaucoup dont votre humble serviteur de découvrir des jeux parus avant leur âge de raison ou sur des consoles qu’ils n’ont pu posséder à l’époque, peut on réellement parler de “préservation” dans le temps long ?

 

Le xbox live Arcade est l'un des exemples les plus connus

Dans les faits, même si les services de “console virtuelle” permettent effectivement de jouer à des jeux parus sur des consoles dépassées, elles ne résolvent en rien les problématiques liées à la pérennité des services et du matériel, et sont même sujets à deux phénomènes: un arrêt du service empêche d’acheter voire même de retélécharger les softs, et ces derniers sont perdus en cas de panne ou de changement de la machine pour une console plus récente. Il ne faut pas non plus oublier que le contenu de ces stores n’est pas complet et demeure soumis aux politiques commerciales des constructeurs: si la Wii et la Wii U proposaient des stores plutôt complets, la Switch ne propose quant à elle qu’une sélection de jeux NES et SNES offerts si vous payez le online (cherchez l’erreur). De leur côté, les stores Playstation et Xbox sont également loin de proposer l’intégralité de leur ludothèque.

les solutions légales pour jouer à des jeux rétro sont aujourd’hui plus que limitées, et quand elles sont disponibles, elles ne sont généralement pas pérennes et surtout, ne retranscrivent pas parfaitement l’expérience originale. Car au-delà des questions de possession, le jeu vidéo est aussi et surtout une histoire d’expérience de jeu, expérience parfois étroitement liée au matériel pour lequel le jeu a été prévu. Nintendo l’illustre bien, étant généralement champions en ce qui concerne le hardware “original”, c’est dans leurs jeux que cette problématique est la plus visible: comment revivre l’expérience proposée par un jeu Wii sur une autre console ne disposant pas de reconnaissance de mouvements ? Les jeux Nintendo sont souvent ceux liant le plus le hardware et le software, et la polémique récente autour du support de la manette Gamecube dans le portage Switch de Mario Sunshine ne vient qu’étayer cette observation.

 

Ces situations nous amènent à considérer le caractère dualiste de notre média: si beaucoup le considèrent comme un art ou à minima comme un objet culturel, le jeu vidéo n’en reste pas moins un produit de consommation répondant à des logiques mercantiles et aux lois du marché. Une œuvre d’art ne saurait devenir obsolète puisqu’étant une création de l’esprit, les consoles sont cependant des biens de consommation créés pour être vendus et qui sont abandonnés lorsqu’une meilleure technologie devient disponible.

Cette double casquette est bien loin de bénéficier au médium, puisqu’elle tire désavantage d’être traitée comme un objet purement mercantile et se raréfie au fil du temps tout en créant le désarroi de celui qui verra en cette cartouche plastique une œuvre dont il est nécessaire de conserver l’accessibilité car il serait dommageable, d’un point de vue culturel, de perdre cette expérience de jeu en raison d’un manque de matériel. Soumis à la loi de l’offre et de la demande, les jeux et les consoles, en se raréfiant, voient leurs prix augmenter parfois bien au-delà de leur valeur ou de leur rareté réelle, rendant inaccessibles à la plupart des passionnés pas assez fortunés ces expériences parfois uniques.

Le problème peut parfois venir d’une situation bien plus drastique que le simple manque de volonté d’un studio: la pure et simple disparition de celui-ci. Combien de studios de développement, d’éditeurs, ont été contraints de mettre la clé sous la porte quand ils n’ont pas été rachetés ou fusionnés depuis que le média existe ? Si dès demain, tous les studios et éditeurs décidaient de prendre à bras le corps le problème du patrimoine vidéoludique, qu’en serait-il concernant ces titres orphelins dont les créateurs ont disparu dans les méandres des lois du marché, emportant avec eux leur propriété intellectuelle ?

La fermeture de Telltale Games a entrainée le retrait de plusieurs de leurs jeux des stores numériques

Alors, si les services disparaissent et que les jeux deviennent inaccessibles avec la mort des machines ou voient leur expérience de jeu être altérée, que reste il à part espérer que l’aspect mercantile du média prenne fin (ce qui n’est sans doute pas près d’arriver) ou se faire une raison et voir les jeux rétro disparaître ?

Beaucoup de questions ont été posées ici, et bien peu ont pu trouver une réponse satisfaisante (voire une réponse tout court), pourtant, celles-ci existent. En France, plusieurs initiatives -parfois publiques- œuvrent d’ores et déjà à la conservation du patrimoine vidéoludique, ainsi, la Bibliothèque Nationale de France a notamment ouvert une collection dédiée au jeu vidéo. Toujours dans l’Hexagone, l’association de loi 1901 MO5 œuvre à la préservation du patrimoine numérique, ce qui inclut les jeux vidéo (comprenant consoles, jeux et micro-ordinateurs notamment).

Outre Atlantique, ce n’est pas moins que Phil Spencer, directeur de la division Xbox, qui a évoqué le problème de l’accès aux anciens jeux vidéo, arguant qu’il était nécessaire de “préserver ce qui nous a amené ici aujourd’hui”, tout en proposant le Gamepass comme un moyen de dépasser les problématiques matérielles évoquées ci-dessus. Enfin, solution bien connue de tous, l’émulation reste un dernier recours parfois nécessaire pour jouer sans devoir hypothéquer son domicile… Quoi qu’il en soit, la question reste entière, et le sera encore sûrement longtemps.